Les travailleurs sociaux face à la souffrance au travail
Les violences verbales et physiques faites aux travailleurs sociaux par les usagers sont devenues fréquentes. Celles-ci sont tues pour éviter de stigmatiser des usagers déjà pointés du doigt. Certes, le professionnel est en capacité d’accueillir la colère de l’autre, mais pas de subir la violence qui l’accompagne. Ces violences doivent être dénoncées.
Les travailleurs sociaux dont font partie les éducateurs spécialisés sont en première ligne sur le front de la lutte contre la précarité, les injustices et les violences faites aux enfants, aux femmes et aux jeunes adultes. L’impuissance de ces derniers se retourne souvent sous forme de violence verbale et/ou physique sur les professionnels : ils sont les punching balls sur lesquels certains usagers et partenaires se défoulent. Depuis longtemps, ces hommes et ces femmes de terrain font avec cette violence.
Ils ont été formés pour la canaliser. On leur a expliqué qu’il fallait s’en imprégner pour mieux entendre la souffrance qui se cachait derrière cette violence. Mais celle-ci est sournoise et indolore. Les agressions quotidiennes s’inscrivent psychiquement et corporellement, puis elles apparaissent sous forme de douleurs au dos, de migraines, d’ulcères, etc.
Les conséquences de la violence sur les travailleurs sociaux
Aujourd’hui, les équipes éducatives sont à bout de souffle lorsqu’elles ne sont pas en arrêt de travail. Certains sont affectés par une dépression, du stress ou de l’anxiété. Ces symptômes ont des impacts sur la qualité des échanges avec les usagers qui ressentent la moindre variation d’humeur de leurs interlocuteurs. De plus, la plupart des environnements où exercent les travailleurs sociaux sont pathogènes et demande une véritable maîtrise de soi pour ne pas se laisser envahir par la peur. Enfin, les professionnels doivent encaisser les insultes et les menaces qui attaquent de plein fouet leur identité professionnelle et fragilisent l’estime de soi : ce processus conduit le travailleur social dans le corridor de la destructivité.
Une destructivité de soi qui empêche de rencontrer l’usager non pas comme sujet mais comme responsable de son propre mal-être. Une destructivité qui se nourrit des disqualifications répétées de quelques usagers, voire de ses collègues, et qui donne le sentiment de ne pas être reconnu. Les phrases de type : “tu sers à rien”, “tu es payé pour ça” ou alors : “ce n’est pas toi qu’il insultait, c’est l’institution”, “ ce n’est pas après toi qu’il en veut, mais à ce que tu représentes” sont autant d’éléments qui viennent déloger le professionnel de sa place symbolique et de sa fonction. Ici, l’injustice faite au professionnel est de ne pas le reconnaître en tant que victime, et c’est cela qui conduit à une perte d’intérêt général de son travail.
Un professionnel qui se fait humilier par des insultes concernant son sexe, sa couleur de peau ou sa famille est intimement blessé. Ces attaques visent la personne et la fonction, et non un tiers supposé qui serait l’institution ou la société. Affirmer l’inverse, c’est légitimer cette violence ordinaire et culpabiliser le travailleur social qui se sent agressé et est victime d’insultes de la part d’usagers dont il doit assurer l’accompagnement social.
Malgré les efforts déployés par les institutions pour lutter contre la violence faite aux travailleurs sociaux, le sentiment de solitude du professionnel demeure. Il reste persuadé que l’institution n’assurera pas sa protection. Certains ont espéré, avec l’arrivée de l’évaluation interne, que la question de la violence faite aux éducateurs amènerait des réponses concrètes. Hélas, force est de constater que les travaux ont mené à des protocoles conduisant à la prise en charge de l’acte de violence mais pas du professionnel qui en est la cible.
Les travailleurs sociaux connaissent de plus en plus le chômage, les burn-out, le harcèlement au travail. Les témoignages d’éducateurs désabusés par le métier se multiplient sur les forums. Ils dénoncent les conditions de travail et les injonctions des collectivités territoriales qui, faute de moyens, demandent aux associations d’en faire toujours plus avec moins de ressources.
La souffrance des travailleurs sociaux : comment l’appréhender ?
Dès lors, les professionnels s’organisent : ils se remplacent en cas d’absence, ils s’appellent et/ou se rencontrent en dehors des temps de travail. Ils tentent de “faire groupe” donnant l’impression de ne faire qu’un et se sentir plus forts : l’objectif étant de ne pas se laisser envahir par le désespoir. Les professionnels arrivent à co-construire, pour ne pas dire bricoler, des solutions qui permettent d’acquérir une plus grande force.
Certains professionnels bénéficient d’espace de régulation appelé les Groupes d’Analyses des Pratiques Éducatives (APE) et qui sont animés par un psychologue. Ces APE sont un outil qui éclaire les professionnels sur ce qui relève du signe et du symbole. Elle permet au groupe de pouvoir se poser, d’échanger et d’élaborer ensemble sur des cas cliniques. C’est un appareil groupal qui demande à chacun une réelle présence psychique. Se pose alors la question de la pertinence de l’APE pour des personnes qui se sentent seules, qui ont une perte d’intérêt général ou qui ont des mouvements dépressifs ?
Je considère, en plus des APE, qu’il faut encourager un espace d’aide et d’étayage de façon individuelle pour chaque professionnel en situation de souffrance, en lui proposant des entretiens avec un psychologue. Les frais, en accord avec les employeurs et les mutuelles, seraient intégralement pris en charge. Cela réduirait les arrêts maladies et les arrêts de travail qui ont de lourdes conséquences sur l’organisation de service et qui ont un coût pour la collectivité. Enfin, il serait pertinent que les métiers du social soient inscrit sur les listes des métiers à risques dès lors que la multiplication des violences sur un professionnel peut créer des dommages et avoir des effets irréversibles aussi bien physiquement que psychiquement.
Je souhaite partager une vidéo : une présentation de professionnels sur l’éducation spécialisée lors d’un forum des métiers. Ces derniers expliquent les qualités requises pour exercer dans ce milieu : l’engagement, avoir foi en l’homme, être équilibré, faire la part des choses entre vie privée et vie professionnelle, et être en capacité de se remettre en question. Cette vidéo met en lumière l’écart entre les qualitées requises et leur devenir sur le terrain.
Travailler dans le social, c’est rencontrer des hommes, des femmes et des enfants qui sont courageux, combatifs, et qui font le maximum pour s’en sortir. C’est aussi découvrir des familles issues de cultures et de coutumes différentes. Il est donc important de ne pas se laisser entraîner dans les corridors de la destructivité de soi et de notre identité professionnelle afin de pouvoir s’épanouir auprès des personnes que nous accompagnons au quotidien.