Vivre dans un pays étranger
Il arrive que les expatriés doivent faire face à des phases de tristesse. L’expatrié se met alors à se replier, à éprouver une perte d’intérêt là où jadis, il y trouvait du plaisir. L’individu qui vit à l’étranger a souvent le souhait de découvrir une nouvelle culture, et/ou d’approfondir une langue étrangère. Cependant, pour certains expatriés, l’expérience de vivre dans un ailleurs est teintée d’une certaine quête de soi. Pour eux, cela ne peut se faire qu’en dehors du cercle familial et/ou professionnel. Ces derniers peuvent en effet se révéler aliénants, voire toxiques. Vivre à l’étranger implique une force de caractère pour affronter différentes épreuves au risque de souffrir de ce que l’on appelle le mal du pays.
Pourquoi vouloir s’expatrier ?
En avril 2021, l’Observatoire de l’Expatriation a contacté 300.000 personnes expatriées. Parmi celles-ci, 7 841 personnes ont validé leurs réponses. Ces dernières ont évoqué les raisons pour lesquelles elles s’expatriaient hors de France : Les opportunités professionnelles et financières liées peuvent expliquer cette expatriation sur le long terme. Au plan professionnel, près de deux tiers des répondants déclarent que leur pays d’accueil est plus adapté que la France pour exercer une activité professionnelle (68%), créer une entreprise (66%) ou chercher du travail (63%). Leur pays d’accueil présente également un intérêt en matière d’investissement : 60% des répondants le jugent plus adapté que la France pour investir en général, 55% pour devenir propriétaire de sa résidence principale. Par ailleurs, 58% des répondants estiment que leur pays d’accueil est plus approprié à la vie de famille.
S’expatrier est un projet de vie où la personne désire mettre au défi sa capacité d’adaptation à un nouvel environnement. Certes, beaucoup sont à la recherche de meilleures conditions de vie pour privilégier un mieux être personnel et/ou familial. D’autres souhaitent évoluer dans un environnement professionnel où les outils sont plus performants, les salaires plus attractifs et les évolutions de carrière plus rapides. S’expatrier, c’est vouloir grandir dans un environnement où nos capacités, nos qualités et nos compétences sont reconnues. Cependant, s’expatrier a un coup psychique non négligeable dans la mesure où cela implique de faire des compromis entre l’abandon de ses anciennes habitudes de vie et les nouvelles, en lien avec les us et coutumes du pays d’accueil.
Enfin, s’expatrier, c’est donner un nouveau départ, une nouvelle chance à sa vie avec l’espoir d’un “meilleur” pour soi et/ou ses enfants. C’est également une façon de prendre du recul sur le sens que l’on souhaite donner à sa vie. D’ailleurs, cet objectif sera la clé de voûte de l’édifice d’un nouveau départ qui peut s’effondrer à tout moment lorsque surgit le mal du pays.
Comment définir le mal du pays ?
Le mal du pays est une souffrance qui s’exprime lorsqu’il y a un écart important entre le mode de vie du pays d’origine et le pays étranger dans lequel la personne réside. En effet, lorsqu’une difficulté se présente, nous nous appuyons sur des repères connus et fiables : famille, ami.e.s, … Ces derniers sont comme des objets résilients qui nous aident à surmonter les épreuves de la vie : maladie, séparation, décès, … Aujourd’hui, les réseaux sociaux et les multiples outils de communication permettent aux uns et aux autres de rester en lien lorsqu’ils vont mal. Mais lorsqu’une personne souffre, elle a besoin d’un contact humain qui puisse la rendre vivante et l’accueillir dans sa fragilité. Le mal du pays apparaît lorsqu’une difficulté surgit et que l’on se sent seul.e pour l’affronter.
Une personne qui vit hors de sa patrie vit également hors de son groupe d’appartenance : c’est cela qui rend l’individu vulnérable et fragile. Car ce qui nous permet de tenir face aux agressions extérieures sont notre état physique, notre état psychique et l’étayage d’un groupe. C’est pour cela qu’il est important de se rapprocher d’un groupe de pairs lorsque nous sommes à l’étranger. L’idée n’est pas de rester dans l’entre-soi, mais de s’appuyer sur le groupe comme lieu ressource pour se sentir entouré et trouver des appuis.
Comment reconnaître le mal du pays ?
Quelles que soient les raisons d’un départ, la rupture avec son milieu naturel et familial reste un choc. En effet, partir, c’est laisser derrière soi ses racines et son histoire. S’expatrier, c’est quitter son groupe d’appartenance en rompant le contrat familial qui consiste à prendre soin des uns et des autres. Lorsque nous sommes isolés des membres de sa famille, la personne expatriée ressent de la solitude qui se conjugue à de la tristesse. Cela peut évoluer vers une dépression si les symptômes ne sont pas traités. Le mal du pays s’exprime dans les souvenirs d’enfance à travers des paysages, des odeurs, des moments positifs ou négatifs vécus dans le pays d’origine. Puis, une forme de nostalgie va s’installer pouvant entraîner des regrets où l’expatrié sera amené à remettre en cause son projet de vivre à l’étranger. Puis ces regrets auront la couleur de la culpabilité : celle d’avoir laissé derrière soi ses parents, ses frères et sœurs, ses grands-parents ou alors de ne pas voir grandir ses neveux et nièces, de ne pas avoir assisté à tel ou tel événement de la famille. Certains peuvent éprouver un sentiment de honte d’avoir accepté une mutation, au risque de perdre leur emploi, au détriment de leur famille. Ainsi, le mal du pays peut se transformer en mal de soi.
Quels sont les symptômes du mal du pays ?
Le mal du pays revêt l’habit de la tristesse. Cette dernière peut être plus ou moins longue et évoluer vers une dépression chronique. Cela dépend de plusieurs facteurs et notamment ceux concernant les raisons qui ont poussé à quitter sa terre d’origine, voire l’origine de son histoire de vie. Même si d’aucuns ont trouvé des objets de résilience, tels que le travail ou la famille pour absorber le choc de la séparation, d’autres ont un sentiment vide malgré la réussite des objectifs qu’ils s’étaient fixés en partant pour l’étranger.
Par ailleurs, la peur et l’angoisse sont souvent des émotions auxquelles les expatriés doivent faire face. La peur de l’échec, les angoisses de séparation et d’abandon sont des thématiques que l’on retrouve régulièrement. En effet, certains ont tout sacrifié pour subvenir aux besoins de leur famille. D’autres ont construit un idéal du côté d’un nouveau départ pour prouver à leurs proches qu’ils étaient capables de réussir. L’échec n’est donc pas admis ! Des symptômes peuvent se développer autour de l’insomnie, de la fatigue ou de la perte d’appétit. Mais la tristesse reste le sentiment le plus pernicieux car il va venir s’enkyster dans les liens avec ses proches et notamment auprès des enfants.
En effet, les enfants sont de véritables éponges émotionnelles. Une fois adulte, ils seront les dépositaires d’une tristesse qui ne leur appartient pas : ils seront les héritiers d’une tristesse déposée par un parent en souffrance !
Quel est l’impact de l’expatriation sur les proches ?
Il y a différentes phases à l’annonce d’un départ d’un proche pour l’étranger. Il y a dans un premier temps la surprise ou la fierté de voir l’autre oser faire ce que l’on n’a pas pu faire soi-même ou d’avoir éduqué son enfant à parcourir le monde. D’autres le vivront comme un véritable choc, un drame personnel en étant aux prises avec des angoisses d’abandon terribles. Cela peut provoquer chez certaines personnes un effondrement psychique pouvant entraîner une dépression chronique.
Puis arrive le temps de l’inquiétude car la structure familiale se rétrécit et les espoirs de voir grandir son enfant et ses futurs petits enfants rétrécissent aussi. S’opère alors un processus où différents deuils se bousculent : voir évoluer son enfant et ses petits-enfants, pouvoir compter sur son enfant en cas de vieillesse ou de maladie, etc. Il faut alors repenser les choses en terme de projection parentale et accepter l’absence, le vide laissé par l’enfant ! Cela implique de se mobiliser autour d’un nouveau projet pour ainsi combler le manque : cela s’appelle la phase d’acceptation. Il est douloureux de voir partir ses enfants, mais la peine peut devenir plus grande lorsque ces derniers partent s’installer à l’autre bout du monde ! Car même grands, les enfants restent une source de préoccupations. Cela est d’autant plus vrai lorsque lesdits pays sont en situation de guerre, par exemple.
Comment traiter le mal du pays ?
Dans un premier temps, il est important de repérer les symptômes liés à une dépression. Si vous sentez une baisse de moral, une fatigue généralisée, une perte d’appétit, de motivation, etc. alors n’hésitez pas à consulter un médecin. Parce que tout le monde n’a pas la possibilité de s’appuyer sur sa famille laissée dans son pays d’origine, il est important de se rapprocher d’associations communautaires. Cela vous permettra de rompre l’isolement en partageant votre mal être et en allant puiser chez les autres les outils qui leur ont permis de surmonter cette épreuve.
Par ailleurs, le mal du pays peut apparaître à des dates anniversaires liées au jour du départ ou d’un décès familial. Il est important de pouvoir échanger autour de ces dates avec un professionnel du soin afin d’élaborer, avec lui, les raisons inconscientes de votre départ, ou de votre fuite, pour l’étranger. Sinon, les risques psychiques liés à l’expatriation, telles que la dépression ou la décompensation, peuvent apparaître. Enfin, le mal du pays peut se transmettre de manière inconsciente à vos enfants. Pour éviter cela, il est recommandé de rencontrer un psychologue clinicien pour différencier ce qui relève des souvenirs, de la nostalgie ou des ruminations afin de traiter, au mieux, votre mal-être. La nostalgie du pays n’est pas forcément mauvaise, car elle peut être une force avec les valeurs familiales et/ou professionnelles dans laquelle puiser en cas de tristesse.